Elles font comme elles ont dit !
Reléguées par des siècles d'une civilisation masculine à une existence de second plan, elles ont toujours vu, dans les révolutions, une chance supplémentaire. Souvent plus sincères, plus passionnées que les hommes, elles jouent maintenant un rôle déterminant.
Parmi elles se dégagent des personnalités hors série. Nous connaissons déjà Louise Michel, qui a donné l'alarme à Montmartre, au matin du 18 mars. L'institutrice poursuit inlassablement sa tâche révolutionnaire. Elle est simple soldat au 61 e bataillon. Elle se bat à Issy, aux Moulineaux, mais elle prend également la parole, le soir, dans les clubs, et se révèle une remarquable oratrice, chaleureuse, convaincante. Comme Élisabeth Dmitrieff, animatrice de l'Union des femmes pour la défense de Paris, elle est extrêmement populaire.
Dès le lendemain des élections de la Commune, une manifestation groupait 600 femmes qui pressaient les hommes de marcher sur Versailles. « Citoyennes, lançait une proclamation du 10 avril, le gant est jeté. Il faut vaincre ou mourir. Que les mères, les femmes qui se disent: que m'importe le triomphe de notre cause si je dois perdre ceux que j'aime, se persuadent que le seul moyen de sauver ceux qui leur sont chers, c'est de prendre une part active à la lutte engagée, pour la faire cesser enfin et à tout jamais, cette lutte fratricide qui ne peut se terminer que par le triomphe du peuple, à moins d'être renouvelée dans un avenir très prochain. »
Des ouvrières comme Adélaïde Valentin, Noémie Colleuille, Sophie Graix, Joséphine Pratt, Céline Dolvainquier, assurent à la Commune qu'« un grand nombre d'entre elles sont résolues, au cas où l'ennemi viendrait à franchir les portes de Paris, à combattre et vaincre ou mourir pour la défense de leurs droits communs et qu'une organisation sérieuse de cet élément révolutionnaire en une force capable de donner un soutien effectif et vigoureux à la Commune de Paris ne peut réussir qu'avec l'aide et le concours du gouvernement de la Commune ».
Dans la presse, cette jeune femme qui signe André Léo, dans les clubs, des femmes telles que la « générale » Eudes, l'épouse d'Émile Eudes, ou Paule Mink, galvanisent les auditoires, mais l'histoire n'a malheureusement pas retenu le nom de la citoyenne qui a rédigé cette proclamation des « Femmes patriotes de Montrouge et de Belleville »:
« Les hommes sont des lâches! Ils se disent les maîtres de la création et ne sont qu'un tas d'imbéciles. Ils se plaignent de ce qu'on les oblige à se battre et ne cessent de murmurer sur leurs malheurs. Qu'ils partent et qu'ils aillent rejoindre la bande de poltrons de Versailles! Nous défendrons la ville nous-mêmes...
Nous sommes de simples femmes, mais nous ne sommes pas faites d'une étoffe moins forte que celle de nos aïeules de 93. Ne permettons pas que leurs ombres rougissent de nous! Levons-nous et agissons comme elles le feraient si elles vivaient encore. Nous avons des devoirs à accomplir; s'il le faut, nous lutterons de vaillance avec les meilleures d'entre elles, et nous défendrons les barricades. »
L'admirable c'est que, le moment venu, elles feront comme elles l'ont dit.
Au combat comme les hommes
Chargées de nourrir et de soigner les soldats, rôles
traditionnellement féminins, certaines femmes en
effet n'hésitèrent pas à prendre les armes. Ce qui
ne manqua pas de susciter des réactions hostiles.
Le 1er mai, le Comité de Salut public décréta que les
femmes étaient hors la loi sur le champ de bataille. Ce
qui n'arrêta pas le dévouement des communardes. Si
elles furent souvent accueillies à bras ouverts par les
hommes de troupe en première ligne, ces femmes, en
majorité issues de la classe ouvrière, subirent l'opposition
frontale des officiers et des chirurgiens de l'armée
de la Garde nationale.
Au cours de la dernière semaine de l'insurrection,
ce sont pourtant bien des communards et des communardes
qui affrontèrent les troupes de Versailles dans
les rues de Paris. Des femmes participèrent activement
à l'érection des barricades pour défendre la révolution
et ses promesses d'égalité et de liberté. Après la répression,
elles furent pourtant dépeintes par Versailles
comme des êtres apolitiques, dans« l'ignorance la plus complète, le manque de sens moral ».
Le rapport officiel
au ministre de la Guerre pose que les femmes ont été
trompées ou appâtées pour participer à l'insurrection.
Les cantinières « suivaient les troupes insurgées, sans
savoir de quoi il s'agissait ». Elles faisaient partie, avec
« les ambulancières, les barricadières [ ... ],des femmes
qui recherchent et dénoncent les réfractaires. Toutes ces
femmes étaient recrutées par les comités qui recevaient
leurs instructions et leurs mots d'ordre du Comité central
de l'Union des femmes sous la présidence de Mlle
Demitrieff ». Les autorités imputèrent ainsi tout
l'activisme des femmes insurgées à un seul cerveau
(une Russe de surcroît !) , tant il était inconcevable à
leurs yeux que des femmes soient devenues délibérément
des révolutionnaires. Le rapport conclut que
les causes « qui ont entraîné les femmes dans le mouvement
révolutionnaire sont: l'état de concubinage, de
démoralisation et de débauche».
Les communardes qui survécurent aux batailles
de rue et échappèrent aux exécutions sommaires de
la Semaine sanglante furent arrêtées, jugées par les
militaires et emprisonnées. Elisabeth Dmitrieff, André
Léo et Paule Mink purent fuir grâce à des relations et
des ressources que peu d'ouvrières possédaient. Au
total, 1 051 femmes sont passées devant le conseil de
guerre ; 251 ont été condamnées. Sur les 4 000 déportés,
on compte seulement 25 femmes. Les autorités
pénitentiaires préférèrent interner les femmes au couvent
Saint-Joseph de Cluny plutôt qu'à la prison de
la presqu'île Ducos. Elles considéraient que les communardes
avaient besoin de réformer leurs moeurs
de manière à y infuser plus de religion et de féminité.
Certains, comme le père Montrouzier, craignaient
que la simple présence des femmes ne corrompe cet
espace masculinisé et que d'« un lieu de déportation,
on en fasse un lieu de prostitution». Louise Michel et
l'anarchiste Nathalie Lemel contestèrent cette séparation
genrée et furent bien envoyées au bagne sur la
presqu'île de Ducos en 1871. Comme Louise Michel
le formula : « On cherche toujours bêtement à faire aux
femmes un sort à part [ ... ], mais pour cela même nous
protestons énergiquement et avec succès. »
Reconnaître la présence des femmes à tous les
niveaux de la Commune mais aussi les différentes
façons dont la Commune elle-même distingua
les genres permet de mieux comprendre
la révolution. Plutôt qu'un
milieu révolutionnaire, gouvernemental
et militarisé mais strictement masculin,
la Commune fut constituée de
multiples courants de féminismes
socialistes révolutionnaires et les
entrelaça; ils irriguèrent les clubs
politiques, le journalisme, l'organisation
du travail, les comités de
vigilance, la réforme de l'éducation
et toute une série de fonctions sur
le champ de bataille. Renverser la
hiérarchie de genre, au même titre
que celle de classe et de religion, était
l'un des objectifs fondamentaux de la
Commune de Paris.
La vérité sur les pétroleuses
L'entrée en force des versaillais dans Paris, le 21 mai, ne convainc pas Louise et ses amies de se faire oublier. Tout au contraire. Le comité de l'Union des femmes, réuni ce jour-là à la mairie du IVe arrondissement sous la direction de Nathalie Lemel, décide à l'unanimité d'aller rejoindre les hommes sur les barricades, et, drapeau rouge en tête, se dirigent vers les Batignolles. D'autres, à travers la ville, font le même choix, qu'elles savent probablement mortel. Elles sont cent vingt place Blanche, sous les ordres de Blanche Lefebvre, jeune modiste « qui aime la Révolution comme on aime un homme »; elles tiennent plusieurs heures, ne décrochent qu'à bout de munitions, avant d'aller reconstruire une nouvelle barricade plus loin, à Pigalle. Celles qui n'ont pas pu se replier sont immédiatement fusillées par les soldats du général Clinchant. Blanche Lefebvre est au nombre des suppliciées. Ses camarades de la place Pigalle plient après trois heures de combat supplémentaires, rejoignent les hommes qui tiennent le boulevard Magenta, et se font tuer près d'eux. Toutes.
Les survivants se souviennent d'avoir vu Elisabeth Dmitriev à Montmartre, puis au faubourg Saint-Antoine, et Nathalie Lemel à Pigalle, où, renonçant à tuer, elle se dévoue auprès des blessés. Quant à Louise Michel, blessée, évanouie, elle revient à elle, unique survivante de la cinquantaine de communards retranchés au cimetière Montmartre. Là, mesurant l'étendue du désastre, elle a l'idée d'opposer à l'avance des réguliers le dernier barrage possible: le feu. La Commune va mourir, mais Paris va brûler. Au vrai, c'est une décision mûrie à l'Union des femmes, où des sommes ont été affectées à l'achat d'armes, mais aussi de pétrole « pour les citoyennes qui combattront aux barricades ».
Pétroleuses... le nom leur restera. Sans que l'on sache exactement quel rôle elles tiennent dans l'énorme incendie volontaire qui consume le centre de la capitale et détruit ses bâtiments, dont les Tuileries. Il est probable que leur action n'est pas aussi systématique qu'on l'a dit. Les preuves manquent, et rares, très rares, sont les pétroleuses avérées, arrêtées et condamnées. Deux seulement sont irréfutables, Florence Wandeval et Anne-Marie Menand. Pour les survivantes des combats de la Commune, parmi lesquelles Louise Michel et Nathalie Lemel, ce sera la déportation et la prison. Une sentence contre laquelle Louise Michel s'élèvera avec véhémence, humiliée de n'être pas traitée en tout comme un homme, et de n'avoir pas droit, elle aussi, à « un peu de plomb ».
D'avance, elles refusent les accommodements, que ce soit avec l'ennemi ou avec la classe dirigeante et possédante qui, une fois de plus, est en train de récupérer la république à son profit exclusif. Le 18 mars, ces femmes engagées, et d'autres, plus humbles, parviennent à convaincre la troupe de fraterniser avec les manifestants, ce qui pousse le gouvernement Thiers à se réfugier à Versailles. La Commune est née, et les femmes entendent y tenir leur place. Jusqu'au bout.
Dès le 11 avril, elles se regroupent au sein de l'Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, appellation qui camoufle la branche française féminine de l'Internationale. Ses dirigeantes sont Elisabeth Dmitriev, une jeune Russe de 20 ans liée avec Marx, Nathalie Lemel, Aglaé Jarry, Mme Collin, Blanche Lefebvre, Aline Jacquier, Marie Leloup. Leurs buts sont d'abord pratiques, entre autres donner du travail aux Parisiennes qui en ont besoin et les organiser, lutter contre l'immense misère qui frappe une nouvelle fois la capitale. Elles n'auront pas le loisir d'aller loin dans cette voie. Le 21 mai, les versaillais rentrent dans Paris insurgé.
Bien avant cette date, Louise Michel est passée à la lutte armée. Engagée dans le 61e bataillon de marche de Montmartre, une carabine en main, elle prétend effectuer le même service qu'un homme: veille aux glacis du côté de Clamart et véritables engagements contre les réguliers dans la plaine d'Issy-les-Moulineaux, où elle combat au premier rang, et tire sans états d'âme sur ceux d'en face. Georges Clemenceau, témoin de la scène, écrira : « Pour empêcher qu'on tuât, elle tuait... jamais je ne la vis plus calme. Comment elle ne fut pas tuée cent fois sous mes yeux, c'est ce que je ne puis comprendre. »
Marguerite Victoire Tinayre
milite pour les réformes
de 'enseignement
{mairie du 12e arr.)
La question scolaire occupe une place centrale
dans les réformes de la Commune. D'abord parce
qu'il s'agit de laïciser l'enseignement, auparavant
massivement assuré par des religieuses. Mais
aussi parce que c'est par le biais des réformes de
l'école que des citoyens et plus encore des citoyennes vont pousser un
agenda féministe: l'espace de la cause des femmes implique des réformes
de l'enseignement et un droit à l'instruction pour les filles. Après le 30 avril,
le Journal officiel de la Commune annonce que tous les enfants âgés de 5 à
12 ans seront instruits. En parallèle, on organise lenseignement professionnel
pour les futures ouvrières.
Si la Commune ne décrète pas l'égalité de salaire
entre hommes et femmes en général, son délégué à l'enseignement, Édouard
Vaillant, instaure le même traitement pour les instituteurs et les institutrices
et nomme des inspectrices chargées de superviser les réformes scolaires dans
la capitale.
Parmi elles, Marguerite, dite Victoire, Tinayre. Pédagogue, elle
dirigeait déjà une école pour filles en 1848, publiait des manuels scolaires ainsi
que des romans sociaux sous le pseudonyme masculin de Jules Paty, avant de
fonder, avec Louise Michel et d'autres, une coopérative de consommation.
Portraits de femmes :
Paule Minsk l'oratrice des clubs.
Elle a fondé dès 1868 la Société fraternelle
de l'ouvrière. Durant la Commune, elle
anime les clubs politiques anticléricaux
dans les églises. Exilée en Suisse après la
Semaine sanglante, elle poursuit le combat
socialiste et féministe .
André Léo la romancière :
Pour cette romancière, journaliste et
théoricienne, de son vrai nom Léodile
Champseix, qui a activement participé
à la Commune, la révolution est impossible
sans l'émancipation des femmes et sans le
ralliement de la paysannerie.
Elisabeth Dmitrieff la marxiste :
Proche de Marx, elle arrive à 20 ans à Paris,
où elle fonde l'Union des femmes pour la
défense de Paris. Elle voulait donner aux
ouvrières le contrôle de leur propre travail.
Condamnée puis graciée, elle se réfugie en
Russie, son pays natal.
Nathalie Lemel l'anarchiste :
Membre de l'Internationale, caissière du
restaurant communautaire La Marmite, elle
soigne, durant la Commune, les blessés aux
abords des Batignolles et de la place Pigalle.
En 1872, elle est déportée au bagne de
Nouvelle-Calédonie avec Louise Michel.